Le 28 juin 2023
Afin de contrecarrer les mesures de santé publique en faveur de la lutte contre le tabagisme en Europe, et freiner notamment la hausse de la fiscalité des produits du tabac, les cigarettiers ont pris l’habitude de brandir la « menace sérieuse et croissante » du commerce illicite : au cours de ces dernières années, ils affirment constater une explosion de la contrefaçon résultant des « fortes hausses de taxes répétées ».
À la source de cet argumentaire, on trouve notamment le rapport annuel du cabinet de conseil KPMG qu’il serait plus juste de nommer le « rapport Philip Morris International (PMI) » : bien qu’il soit médiatisé sous le nom de « rapport KPMG », ce document est un outil de lobbying créé et intégralement financé par PMI pour la somme annuelle de 11 millions d’euros. Intitulé « Consommation de cigarettes illicites dans l’UE, au Royaume-Uni, en Norvège et en Suisse », ce rapport présente et diffuse des estimations exagérées de l’ampleur du commerce illicite, malgré l’absence totale de méthodologie scientifique. Cette année encore, ce rapport affirme que le marché parallèle des produits du tabac représente plus de 40 % en France.
L’ACT – Alliance Contre le Tabac dénonce l’instrumentalisation du commerce illicite par l’industrie du tabac visant à entraver les politiques de santé publique : à partir d’études financées par leurs soins, de l’élaboration de campagnes de désinformation et de l’alimentation d’un marché parallèle, les géants du tabac redoublent d’efforts pour accroître l’importance du commerce illicite afin de contester les augmentations régulières de la fiscalité sur les produits du tabac en France, mesure pourtant reconnue par l’OMS comme étant la plus efficace en matière de lutte contre le tabagisme.
- Composante légale : regroupe les achats transfrontaliers ou en duty-free, dans le respect des limites imposées par la loi ;
- Composante illégale ou commerce illicite : rassemble les achats transfrontaliers au-delà des volumes autorisés, les produits de contrebande (produits de marques légales mais vendus en dehors du réseau de buralistes) et les produits de contrefaçon (produits qui copient ou imitent les marques légalement vendues en France).
Si l’on se réfère aux précédentes études menées par Santé Publique France et aux travaux conduits par d’autres instances officielles telles que l’OFDT (Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives) et la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects, il peut être affirmé que le marché parallèle des produits du tabac, comprenant les achats légaux et illégaux, représente 15 % à 20 % des ventes en France. La part du commerce illicite, quant à elle, représente seulement 6 % de la vente totale des cigarettes.- Ces enquêtes sont basées sur le ramassage des paquets vides en zones urbaines, réalisées par des agences d’études de marché mandatées par les industriels du tabac, ainsi que sur les données de ventes intérieures légales fournies directement pas les cigarettiers.
- Des informations vagues sont fournies sur le calendrier des enquêtes. Les récoltes des paquets vides en France sont notamment effectuées sur des périodes touristiques, ce qui peut favoriser la présence de paquets étrangers pour lesquels on ne peut pas savoir si les taxes ont été payées.
- Seules les grandes villes ont été incluses dans les zones de ramassages de paquets vides et par conséquent, les zones non-urbaines sont sous-représentées. De plus, aucune information méthodologique n’est donnée pour s’assurer que les zones choisies soient représentatives de la population.
- Les données de ces enquêtes n’ont, à aucun moment, fait l’objet d’une validation externe, la plupart d’entre elles ayant été validées par les fabricants de tabac eux-mêmes. Dans l’ensemble des rapports, KPMG s’affranchit de toute responsabilité en précisant que « Nous (…) n’avons pas cherché à établir la fiabilité des sources d’information par référence à d’autres éléments ».
- Lors de la médiatisation du rapport, PMI entretient sciemment une confusion terminologique autour de la notion de « marché parallèle ». En 2021, Jeanne Pollès, Présidente de Philip Morris France déclarait dans les médias que « Nous [PMI] avons enfin un rapport officiel qui converge avec nos conclusions : une fiscalité qui amène des prix élevés crée des dommages collatéraux tels que les marchés parallèles, boulevards de revenus des organisations criminelles ».
Un commerce illicite international orchestré par l'industrie du tabac
À l’échelle mondiale, les données (Joossens et al 2010 et Goodchild et al 2022 ) montrent que le commerce illicite représente autour de 11 % du commerce mondial des produits du tabac, soit une proportion stable au cours de la dernière décennie.
Ce marché illégal est en grande partie entretenu grâce à la complicité de l’industrie du tabac : dès lors que leurs produits sont vendus à des distributeurs, les fabricants en tirent profit, que ce soit par un réseau légal ou illégal.
Dans les années 90, des documents internes ont prouvé l’implication des cigarettiers dans le commerce illicite mondial : à cette époque, on estimait que près d’un tiers des exportations mondiales de cigarette finissait sur le marché illicite. Les industriels approvisionnaient même certains marchés uniquement par cette voie.
Aujourd’hui encore, les estimations plus récentes suggèrent que 60 % à 70 % du marché illicite international est alimenté par des produits directement issus des principaux industriels du tabac.